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RETOUR DE LECTURE DE GéSIR par RAMIRO OVIEDO
(Extrait de l'émission Radio METEOR (mardi 19 octobre 2018) sur les ondes de Radio Campus Amiens)
Gésir est une boîte de mots pour Giselle, la grande mère disparue d’Emilie, qui fait l’arrêt sur image de l’enfance et des morceaux d’autres périodes, emportée par le fleuve de la mémoire et de l’écriture. L’épicentre du livre est précisément le mot GESIR, associé phonétiquement à celui de Giselle. L’espièglerie acoustique ouvre un circuit de dédoublements entre la mort et la vie, entre le sujet évocateur et le sujet évoqué, la grande mère et la grammaire, la prose poétique, le poème proprement dit et la versification dramatique qui donnent forme au livre. Prenant des risques Emilie joue le jeu dialectique des mots entre le sens et le non sens et nous donne des textes imprévus, résultat du dédoublement expressif qui sert à se vider à soi même par un discours abstrait, hermétique, d’un poli sémantisme inachevé, où le sens jaillit par intermittences. La parole est le détecteur des monstruosités, gilet de sauvetage, mur de lamentations, baume magique, et combustible de délires.
En exploitant les possibilités sémantiques et caméléonesques du verbe GESIR, les définitions du dico, son entourage étymologique, sa conjugaison et quelques connotations littéraires, l’auteure situe l’axe thématique dans une dimension linguistique et littéraire qui exprime théâtralement des situation humaines limites : gésir fait penser à la mort, à quelque chose ou à quelqu’un renversé par le temps .On va parler dans une langue codée de l’anéantissement progressif d’un être converti en sac poubelle par un charcutier pervers.
Rien n’est facile. Naître, grandir, mourir, ce sont parfois des aventures pénibles qui seraient insupportables sans la parole. Dans un cadre de vie pathogène comme le notre ou le langage ordinaire est malade, parler clair est impossible puisque les mots sont pollués. Il faut donc cracher, évacuer l’aliénation, tel semble être le but de Emilie Gévart dans ce livre. Dans l’affaire, Gésir nous renvoie aussi à la condition textile du texte livré à une sorte de délire linguistique fait de mots mordus, mutilés, de syllabes d’une langue trébuchant, qui semble avoir du mal à coudre un mot ou un paragraphe de manière normale. Les accoucher sera une prouesse ludique et un acte d’exorcisme. Se faire une langue, est se refaire une âme, à mesure que le texte grandit par parcelles, en vers ou en prose, configurant des séquences dramatiques progressives, (comme Verbiages, dévidoir, gémir).
Emilie Gévart n’écrit pas comme il faut mais comme elle peut et comme elle a envie, c'est-à-dire prévoyant la mise en voix du discours sur scène, avec l’oralité fébrile qui est la sienne, en tant qu’acteur d’une pièce théâtrale sociologique. Gésir n’a pas un discours ordinaire, proche du bon sens qui parle de la vie et ses micro-incidents, il nous met plutôt face à une représentation métaphorique du réel par le biais d’un discours atypique, d’une poétique-théâtrale délirante parfois enfantine et spontanée qui dégage une violente étrangeté. Si le langage ordinaire est malade pour suivre la grammaire du pouvoir et des ogres qui ont prétendu confisquer la grammaire d’une existence, venger les mots c’est venger les morts. Dans sa revanche le locuteur va manier les mêmes perversions dont il a été victime, avec un élan de subversion aux effets thérapeutiques
Texte hybride et fragmentaire, donc, qui violente l’expression faisant recours à l’inversion, le retournement ou l’écartèlement des mots pour bâtir une langue avec des miettes, aux traces cérébrales acoustiques fortes, comme si le dictionnaire était une boite à jouets, une boite à musique ou bien une boite à pharmacie. Dans le déferlement euphorique qui profane et segmente la grammaire par la déviation syntactique, la ponctuation et l’espacement disloqués, les mots semblent flotter anxieux et hésitants. La peur trouble le locuteur, l’excès de voix le laisse sans voix, et tétanisé face au souvenir de sa propre segmentation, se met hors-jeu dans une pièce trans générique, dévoilant l’impuissance et la lucidité, la double dissonance de dire ce qui doit être dit et du retour sur soi même.
Ramiro Oviedo
20 septembre 2018
Ramiro Oviedo est un poète né en Equateur en 1952, mais il vit en France depuis 1987. Il a publié plusieurs recueils de poésie et même, avec Augusto Rodriguez, une anthologie bilingues qui présente 33 poètes équatoriens. Vient de paraître aux Editions Corps Puce (collection Liberté sur parole) un dernier volume intitulé : fauves.
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